Mardi 19 avril, des artistes ont manifesté pour réclamer des sacs de riz. Une image désolante pour la Guinée. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? Comment sortir de l’ornière nos artistes ? Abdourahim Diallo répond à nos questions.
Par Saïkou Camara
Aujourd’hui, quel est l’état de l’industrie de la musique en Guinée ?
Notre industrie musicale est dans un état embryonnaire. Elle est peu structurée, et manque de ressources humaines performantes, en termes de maîtrise de sa gestion. Aujourd’hui, très clairement, il existe un véritable gap entre les investissements réalisés et les ressources que génère cette industrie. Et c’est un fait auquel nous pouvons remédier si nous prenons le problème à bras-le-corps.
Mardi 19 avril, des artistes ont réclamé des sacs de riz au gouvernement. Quel regard portez-vous sur cette situation ?
C’est alarmant. Cela dépeint fidèlement la précarité dans laquelle se trouvent nos créateurs, et l’estime qu’ils ont deux même et de leur travail. Sinon il y a plus urgent à revendiquer que des grains de riz.
Que faire pour que nos artistes puissent vivre de leurs œuvres ?
Vous savez, dans cette industrie, il n’y a pas que les artistes. Il y a un tas de personnes qui travaillent à différents niveaux et qui doivent aussi vivre de leurs métiers. Pour être direct, il n’existe pas de solutions magiques. La chose à faire c’est de professionnaliser notre industrie musicale et de monétiser au maximum la consommation de musique. Aujourd’hui, la majorité des Guinéens consomment la musique à longueur de journée, mais ne paie pas pour autant. Il faut donc amener les gens à comprendre que la musique qu’ils écoutent à un prix qu’il faut payer. Quitte à trouver de nouveaux modes de monétisation. Et les solutions existent, seulement il faut les mettre en œuvre.
Que doit faire le Bureau guinéen du droit d’auteur (BGDA) pour jouer pleinement le rôle qui lui a été assigné ?
Je n’ai pas la prétention de savoir ce que le BGDA doit faire pour jouer pleinement son rôle. Mais pour un observateur averti, il est clair qu’il doit revoir d’abord son mode de gouvernance qui n’est pas du tout inclusif et transparent. Il existe des standards dans le monde de la gestion collective. Faudrait-il déjà qu’on se mette à ces standards ? Une fois les rails construits, je pense que le train roulera sans problème. Il y a des défis à relever au sein de cette institution, qui sont ceux de la gouvernance, de la collecte, de la répartition correcte, de l’innovation et de la protection sociale des auteurs.
N’y a-t-il pas des réformes à faire au niveau de l’État ?
Bien sûr, il y a des réformes à faire au niveau de l’État. Cependant, ce n’est pas à l’État de tout faire. C’est aussi aux acteurs de s’impliquer.
L’industrie de la musique, est l’un des secteurs les plus générateurs de revenus dans le monde. Alors qu’en Guinée, il y a un désintérêt total du monde des affaires ; comment attirer donc ces investisseurs ?
L’industrie musicale est génératrice de revenus, et l’Afrique est en train de prendre sa place petit à petit grâce au streaming. Les ventes ont augmenté de 9,6% en 2021 en Afrique subsaharienne. Mais ces chiffres sont disparates d’un pays à un autre du continent. Et pour qu’un investisseur puisse s’intéresser à un marché quelconque, il faut qu’il soit porteur. Faisons-en sorte que notre marché local le soit.
Pouvez-vous nous parler des NFT (Non fungible token) ?
Pour faire simple et pour ne pas perdre vos lecteurs, un NFT est un objet non fongible, unique et non interchangeable. C’est un fichier numérique stocké sur une blockchain qui permet d’authentifier une œuvre (photo, vidéo, œuvre d’art). Le NFT permet à un artiste de vendre un fichier numérique comme s’il vendait une œuvre physique. Et aujourd’hui, c’est un moyen que beaucoup d’artistes utilisent pour monétiser leurs œuvres sur le digital.
Pour finir, à votre avis, qu’est- ce qui manque à nos artistes pour avoir une grande notoriété à l’international ?
Il ne leur manque pas grand-chose en termes de talent et de créativité. Il ne manque plus qu’un marché local porteur pour les hisser au sommet. Regardez les Nigérians et les Tanzaniens. Ils sont célèbres en dehors de leurs frontières, parce que chez eux le marché local est très solide.