Depuis l’avènement du CNRD le 5 septembre 2021 à la suite du coup d’Etat qui a renversé le président Alpha Condé, certains efforts ont été faits tels que la diminution du prix des denrées de première nécessité et du prix du carburant en dépit d’un contexte global inflationniste. Ces mesures auraient dû avoir un effet sur la consommation, même sur l’investissement et relancer la machine économique locale. Cependant, la quasi-totalité des agents économiques se plaint du ralentissement économique et de la morosité des activités qui se caractérisent par une crise de liquidités palpables, un moral en berne des dirigeants d’entreprises, une tendance à thésauriser plutôt qu’à consommer ou investir de la part des agents économiques. Alors, il est important de se pencher sur les causes réelles d’un tel phénomène ainsi que les pistes de solutions à adopter pour sortir de cette impasse dont les effets commencent à perdurer. Et si ce manque s’expliquait par un non-respect du contenu local par le secteur privé ? Une politique monétaire de la Banque centrale pour stabiliser les prix ? Ou un blocage des opérations financières dû à la création de la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) ?
Par Traoré Ibrahima
Accroissement de la masse monétaire sans effet
Malgré une augmentation de la masse monétaire en circulation au troisième trimestre de l’année 2021 d’environ 327 milliards GNF par rapport au deuxième trimestre de la même année, les effets sont restés très limités sur l’activité économique. Certainement du fait de la COVID-19 mais aussi de l’invasion russe en Ukraine sans occulter les mesures fortes du CNRD qui ont refroidi les investisseurs locaux au regard du phénomène de récupération et de destruction des domaines de l’Etat, qui, tout en étant une cause noble, a manqué de forme dans son exécution comme l’avait fait auparavant Alpha Condé. Toutes ces crises ont certainement affaibli les investissements que comptaient réaliser les entrepreneurs.
Les entreprises guinéennes aux abois
Malgré un taux de pression fiscal faible dans le pays (environ 13%) et un relatif accroissement de la masse monétaire, l’accès au financement constitue un problème majeur pour le développement des Petites et moyennes entreprises (PME). De façon générale, l’offre de financement proposée par les banques commerciales et les institutions de microfinance sont peu accessibles. Le taux d’intérêt moyen est particulièrement élevé et rend l’environnement des affaires moins propice.
Par ailleurs, avec le paiement par l’État d’une partie de la dette intérieure, on s’attendait à une plus grande circulation de la monnaie entre les agents économiques ; et donc une certaine stimulation de l’économie. Malheureusement, la situation n’a pas réellement évolué, ce qui fait dire aux agents économiques que le contenu local n’est pas du tout respecté tant au niveau des ressources humaines qu’au niveau des produits locaux. Les commerçants et les PME se plaignent du fait que certaines entreprises notamment les multinationales ne respecteraient pas cet accord. Pis, elles recrutent des ressources humaines et matérielles de leurs pays d’origine. Ce constat est un manque à gagner tant pour les entrepreneurs que pour la population.
D’autre part, le porte-parole du gouvernement Ousmane Gaoual Diallo avait dit que les caisses de l’Etat se portaient bien et qu’il y avait un surplus de liquidités à la Banque centrale. Nous avons assisté à une augmentation du prix du carburant qui était inévitable et une augmentation des taxes à tous les niveaux. Le cas récent est la taxation de 75% sur les véhicules importés. La raison serait la baisse des importations. Cette baisse d’après plusieurs commerçants est due à la diminution de la demande sur le marché.
Les réformes engagées par les régies de recettes (Impôt et Douane), notamment l’élargissement de l’assiette fiscale, la lutte contre la corruption et le mécanisme de formalisation des entreprises informelles ne seront-elles pas des solutions idoines ?
Le secteur bancaire au ralenti
Ces derniers temps, le secteur bancaire est peu actif en raison du climat socio-politique. Les transactions ne s’effectuent plus comme avant selon une caissière : « Les gens ne déposent plus leur argent sur leurs comptes ». Les banques ouvrent quotidiennement leurs portes espérant accomplir une meilleure performance que les jours précédents. Malgré une nette appréciation du franc guinéen par rapport au dollar américain, le surplus de liquidités à la Banque centrale et le paiement de certains grands projets, les banques continuent de subir une forte pression sur leurs liquidités. Conséquence de cette situation : l’initiative du ministère de l’Économie, des Finances et du Plan d’émettre des obligations de trésor sur le marché financier le 12 avril dernier, n’a pas eu les effets escomptés auprès des banques qui n’ont pu souscrire qu’à peine à hauteur de 60% du besoin exprimé par le Trésor guinéen.
Psychose de la CRIEF
Cette Cour de justice, mise en place pour lutter contre la fraude et la corruption a déjà inculpé plusieurs cadres dont certains anciens ministres d’Alpha Condé, accusés de détournement de deniers publics, d’enrichissement illicite, etc. Cependant le Numéro Vert, mis en place par le Président de la transition a fait naître la méfiance entre les citoyens.
Cette psychose de la CRIEF touche les particuliers, les chefs d’entreprises et les membres du gouvernement qui seraient réticents à engager de nouveaux projets par peur d’être exposés. Cette situation crée un blocage de la circulation de la monnaie. Si tel est le cas, combien de temps pourra-t-on tenir face à cette situation ?
La politique de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG)
Récemment, les autorités sont parvenues à une stabilisation relative du taux de change du franc guinéen (GNF) vis-à-vis du dollar américain (USD). Ce taux s’établissant à 8 642,49 GNF pour 1USD à la date du 13 juin 2022 contre 9 704,8 GNF en septembre 2021. Toutefois, on constate que la population ressent une augmentation exponentielle de la cherté de la vie et un ralentissement de la circulation de la monnaie.
Lors des derniers échanges entre le gouvernement et les institutions internationales dont le FMI, la BAD, la BM… ont affirmé leur soutien à l’économie guinéenne, en cette période de crise multi factorielle. Les projets en cours continueront à bénéficier d’investissements ; et plusieurs entreprises locales devraient avoir un financement pour la réalisation d’infrastructures socioéconomiques.
Malgré toutes ces annonces et les efforts que le président de la République et les membres de son gouvernement ont consentis depuis plusieurs mois, l’économie est encore faible.
Redynamiser l’économie
Avec un ralentissement des activités liées à la pandémie de la Covid-19 et la guerre Russie-Ukraine, l’économie guinéenne continue de faire preuve de résilience. En effet depuis le coup d’Etat, les nouvelles autorités avaient présenté aux investisseurs une vision de l’économie et des réformes à entreprendre. Pour soulager la population, certaines actions sont posées telles que le renforcement de la lutte contre la corruption par la création d’un tribunal de répression des infractions économiques et financières, un plan de relance économique, une facilité d’accès aux crédits, le maintien du taux directeur à 11,5% par la BCRG, mais la machine économique n’arrive pas à démarrer. Depuis le début de ces réformes, la non-anticipation de « la psychose de la CRIEF » pourrait être ce facteur manquant pour la relance de l’activité économique.
Selon un sondage de l’AGSP-Guinée, le colonel Mamadi Doumbouya, depuis le 5 septembre 2021 bénéficie d’un capital sympathie de l’opinion nationale et internationale. La population croirait en son autorité et en sa volonté de lutter contre la corruption pour refonder l’Etat. Mais depuis l’augmentation du prix du carburant le 1er juin dernier et l’interdiction des manifestations en Guinée, cette confiance commencerait à baisser.
Le 11 mai 2022, le CNT a validé la durée de transition à 36 mois. Par conséquent, n’est-il pas le bon moment pour le gouvernement de présenter la feuille de route ? Une adresse à la Nation du président de la République ne serait-elle pas cette impulsion qui manque pour refixer le cap, redonner confiance aux ménages et aux agents économiques afin qu’ils aient une visibilité claire, des orientations de politique économique pour relancer la consommation et l’investissement ?