Y aura-t-il une crise du carburant en Guinée due à la guerre entre Ukraine et Russie ? Si c’est le cas, la Guinée a-t-elle les stocks de carburant nécessaires pour répondre à une crise ? y a-t-il des mesures d’urgence à prendre ? Sidiki Diarra, responsable des opérations Afrique de l’Ouest de Turgot Commodities SA, nous décrypte le secteur hydrocarbure…
Par Saïkou Camara
Quel est la consommation de carburant des Guinéens ?
Chaque mois la Guinée consomme environ 80 millions de litres de gasoil, 50 millions de litres d’essence, 16 millions de litres de fioul lourd, et le secteur minier à peu près 10 millions de litres. Ce qui fait de la Guinée l’un des plus gros consommateurs de carburant de la sous-région.
Comment expliquez-vous que notre consommation soit presque identique à celle de pays plus développés tel que le Sénégal ou la Côte d’Ivoire ?
L’utilisation du groupe électrogène par le manque d’électricité et les différentes compagnies minières font que nous avons la même consommation que les autres pays de la sous-région voire plus.
La crise entre la Russie et l’Ukraine peut-elle avoir un impact sur le consommateur guinéen ?
Oui, cette guerre aura un impact sur le consommateur guinéen, l’un des impacts est le fait que nous n’avons qu’un seul importateur de carburant, et cette crise l’impactera forcement. Avec l’embargo sur le Venezuela, une partie de l’embargo sur l’Iran et la crise en Russie puis l’Arabie Saoudite qui a récemment décidé de ne pas augmenter sa production, tous ces facteurs auront forcément un impact sur le marché mondial.
D’après vous quelles sont les mesures que devrait mettre en place le gouvernement à court terme et moyen terme pour éviter une crise du pétrole en Guinée ?
La SONAP (Société Nationale de Pétrole) peut être utilisée comme un moyen de commande pour supporter les pertes commerciales et maintenir le prix à 10 000 GNF le litre à la pompe. C’est une pratique courante dans la sous-région notamment au Sénégal et en Côte d’Ivoire où les pertes commerciales sont supportées par les importateurs.
Cela pourrait se passer en imposant des taxes sur les importateurs comme la CBG, GAG, RUSAL qui eux importent directement leurs produits. On appelle ça “les taxes sur les produits miniers”. Sachant qu’ils sont exonérés des taxes douanières, nous ne pouvons nous permettre de les exonérer des taxes sur les produits pétroliers, ce qui est normal et qui permet à la population d’en bénéficier. Je voudrais mentionner un point essentiel : la rupture n’est pas due au manque de carburant, c’est le système de cotation qui fait défaut au niveau de toute l’Afrique. La SONAP doit prendre des dispositions. On met toujours la faute sur les dirigeants mais le problème est dû au manque de formations, dans toute l’Afrique dans le secteur pétrolier, nous n’avons pas d’experts qui sont outillés pour faire des prévisions.
Les taxes sur les produits miniers pourraient rapporter combien à l’État ?
Ces taxes pourraient rapporter de 2 à 3 millions de dollars par an à la Guinée.
Ces taxes pourront-elles permettre de ne pas impacter le consommateur guinéen ?
Mon conseil au gouvernement est de maintenir le prix à 10 000 GNF à la pompe et faire supporter les pertes commerciales aux importateurs. Un autre conseil serait de trouver un fournisseur avec un contrat de 2 ans minimum qui prendra des pertes à son niveau en cas de crise de ce type. Dans le cas d’une diminution de prix, l’État devra à son tour faire un effort pour que le prix reste stable peu importe la fluctuation des prix du pétrole.
Les pays membres de la CEDEAO ont fermé leurs frontières au Mali à la suite de la crise politico-militaire. Selon vous comment peut-on transformer cela en opportunité ?
Cette situation est une opportunité pour la Guinée à plusieurs niveaux. Nous pourrons fournir du carburant au Mali en quantité. Ce qui permettra de baisser les frais de transport, des frais d’opérations, puis d’acheter du carburant à moindre coût chez le fournisseur avec l’augmentation de la consommation. Aujourd’hui on consomme deux milliards de litres de pétrole par an, avec la consommation du Mali, on irait à deux milliards cinq cents millions de litres en consommation.
Quel modèle de développement l’Afrique devrait mettre en place ?
La première action serait que chaque pays ait une capacité de stockage de 300 000 tonnes de pétrole. La tendance en Afrique est qu’on ne fait pas de prévision pour pallier aux crises, pendant qu’en Europe ils ont toujours plusieurs mois de stocks en réserve. Cette prévision permet d’avoir un prix stable le temps des crises. Une autre solution est que les pays les plus proches se mettent ensemble pour acheter du pétrole et ne plus dépendre des traders. A long terme signer des accords avec des raffineries basées en Afrique pour faire une extension de la raffinerie ce qui donnera une plus grande capacité de production journalière.
Pour conclure, est-ce que le président du CNRD, Mamadi Doumbouya a bien fait de réduire le prix du carburant de 11 000 GNF à 10 000 GNF à son arrivée au pouvoir ?
Je dois dire à mon sens, cette décision n’avait rien de politique. Elle était judicieuse. L’augmentation du carburant à 11 000 GNF au départ n’avait aucun lien avec le cours du marché. Le colonel Mamadi Doumbouya a même été assez cohérent, il aurait pu baisser le prix jusqu’à 9 000 GNF à la pompe. Pour éviter que l’État perde énormément de taxes et anticiper d’éventuelles hausses au niveau du marché, il a dû préférer se limiter à 10 000 GNF. Par contre, ils n’ont pas choisi la bonne ligne à supprimer dans la structure des prix. Un exemple, à l’importation du carburant, c’est l’État guinéen qui supporte les frais d’importation. L’État devrait faire supporter ça aux importateurs et fournisseurs.