En cette journée internationale dédiée aux droits des femmes, la rédaction d’Ecofinance Guinée a décidé d’organiser un atelier d’échange dont la thématique est « le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel », un sujet tabou, qui est l’un des obstacles pour la carrière professionnelle d’une femme en Guinée. A cet effet, des femmes nous ont raconté leurs expériences et ont également préconiser des solutions pour lutter contre ces actes dans le milieu professionnel.
Par Adama Diouldé Manè, Mariama Ciré Sidibé, Horsi Bocoum, Fatoumata Lamarana Diallo, Djènè Bozick Camara et Fatma Magassouba
Le harcèlement sexuel en Guinée
Le harcèlement sexuel devient de plus en plus une pratique courante en Guinée surtout à Conakry. La capitale administrative et économique du pays serait le nid où les femmes sont le plus harcelées sexuellement par les responsables du secteur privé, publique, politique, ONG, etc..
Après une enquête menée par la rédaction, les premières victimes seraient les jeunes femmes voulant créer une entreprise, à la recherche d’un emploi ou d’un stage. D’après les femmes interrogées, des dirigeants profitent de leur statut social pour harceler les femmes travailleuses, en échange de promesses de financement, d’emploi ou de promotion.
Les formes de harcèlement rencontrées par les femmes
En effet, le harcèlement sexuel dans le milieu du travail réuni tout comportement non désiré, importun, non demandé et à titre sexuel. C’est un étalage de pouvoir destiné à intimider, à contraindre ou à abaisser une travailleuse. De ce fait, il existe plusieurs formes de harcèlement sexuel dans le milieu professionnel notamment physique, verbal et non verbal.
Le harcèlement physique peut se manifester par des pincements ; des frôlements, des regards insistants ; des clins d’œil ; l’envoi de courriels non désirés, de textos ou de blagues explicitement sexuelles à travers l’intranet du bureau ; des contacts physiques et des attouchements superflus ; des agressions physiques…
Quant au harcèlement verbal, il peut s’agir des discussions de travail déviées sur des thèmes sexuels ; des demandes de faveurs sexuelles liées à une promotion ; des commentaires ou des allusions à caractère sexuel ; des blagues sexuelles, ou la demandes de fantaisie sexuelles ; des commentaires homophobes et des insultes liées au sexe d’une personne ou jugeant la sexualité…
Par contre le harcèlement non verbal se manifeste par des affichages de dessins, de calendriers, d’écrans de veille sur le PC ou d’autres matériels explicitement sexuels.
Par ailleurs, forcer les femmes à travailler en dehors des heures normales, les exposer à certains risques pendant leur déplacement vers le lieu de travail, constitue une autre forme de harcèlement.
Les victimes brisent le silence
Lors de cet atelier, nous avons pu recueillir les témoignages de victimes, telles que Mariame qui souhaitait créer un commerce dans le cosmétique : « j’avais l’opportunité de faire venir de la marchandise de l’Europe… je connaissais des hommes d’affaires à qui j’ai présenté mon projet afin qu’ils m’aident à créer mon commerce… un m’a invité dans l’un des plus grands restaurants de la place, mais malheureusement la conversation a vite tourné sur ma beauté, qu’il aimait bien les femmes comme moi et finalement pas mon projet ». Le récit de Mariame est glaçant, car tous ces rendez-vous ont toujours fini par des propositions sexuelles. Aujourd’hui, elle a abandonné son projet et travail dans une banque.
Aissatou Lamarana, l’une des participantes à notre atelier se confie : « En 2022, je faisais un stage dans le cadre de mes études aux côtés d’un couple dans une galerie. Dès la première semaine, le mari m’a proposé d’aller boire un verre dans un café… J’étais timide à l’époque. Très rapidement, il a posé sa main sur ma cuisse, je l’ai repoussé. Mais j’étais tétanisée et j’ai immédiatement pensé aux répercutions que ça pourrait avoir sur mon stage. Après cette journée, je ne me suis jamais retournée au travail. Quelques jours plus tard, j’ai donné la raison à la responsable des stages de mon université, ce qui n’a pas donné suite. J’ai pensé à porter plainte, mais je n’ai pas osé ».
Un autre témoignage édifiant, est celui de Mariama Ciré Bah, qui nous raconte également les difficultés qu’elle a rencontré lors de son précédent stage : « Quand j’ai commencé mon stage à la banque, il y a un collègue qui m’envoyait constamment des messages. Au lieu d’être un mentor pour moi, il me faisait des avances que j’ai refusé. Mais il insistait toujours et moi je ne savais pas quoi faire ni à qui parler, vue qu’il était là avant moi et il était très proche de notre chef… je me suis dit que le fait de le dénoncer pouvait me créer des problèmes donc je me suis tue ». Elle affirme également : « Quand on est dans un milieu professionnel, on a souvent peur de dénoncer. Surtout quand il s’agit d’un supérieur hiérarchique par peur des répercussions. Et c’est là le vrai problème, parce qu’il faut que les femmes osent en parler ». Le silence des victimes par peur de représailles de la part des patrons, collègues ou de la famille est fréquent et permet malheureusement aux agresseurs de continuer leurs mauvais comportements en toute impunité.
Les conséquences pour les victimes et l’entreprise
Lors des différentes interventions, il a été constaté que le harcèlement est un frein au développement de la carrière des femmes en Guinée.
Les victimes d’harcèlement se sentent traiter avec mépris et cela affecte leur santé mental, leur confiance en soi, l’anxiété, l’isolement, la dépression… De plus, si elles se plaignent, elles seraient jugées coupables au regard de la société, elles risquent d’être licenciées, de perdre des perspectives de promotion ou d’être contraintes à démissionner, selon les femmes auditionnées par notre rédaction.
Il aurait aussi un impact négatif sur le travail, car elles deviennent de moins en moins productives.
Des mesures pour freiner ce fléau
Dans la lutte contre le harcèlement sexuel, l’adoption de débats et de lois fermes constitue un pas important pour mettre fin à ce problème. La société doit éviter de tout mettre sur le dos des femmes, au contraire œuvrer à multiplier les associations qui luttent pour les droits de ces dernières. Les institutions doivent aussi mettre en place une culture d’entreprise fondée sur le respect mutuel et la dignité, où il doit être clair que le harcèlement sexuel ne sera pas toléré. Il est important dans une entité que les dirigeants, les employeurs fournissent des informations sur la prévention du harcèlement, et encouragent les employés à signaler tout comportement inapproprié. Pour lutter contre ce fléau, il est aussi essentiel de désigner au sein d’une organisation, ‘’le référent harcèlement sexuel’’ qui aura pour rôle de sensibiliser l’ensemble des employés, soutenir et accompagner les victimes de harcèlement, car en offrant une oreille attentive et bienveillante aux victimes, le référent crée un espace sécurisé où elles peuvent s’exprimer librement et en toute confiance.
Toutefois, les hommes peuvent aussi être victimes de harcèlement dans le milieu du travail. Cependant, il est incontestable que les femmes en sont les grandes victimes.
Que retenir de cet atelier ?
Le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel est un frein au développement des carrières des femmes. Il est donc nécessaire de lutter contre ce fléau en mettant en avant l’égalité des sexes dans le secteur professionnel, en éduquant les individus sur le consentement mutuel afin de créer des espaces de travail sûrs et inclusifs pour tous.
À noter que cette année, la journée internationale des droits des femmes est sous le thème “Investir en faveur des femmes : accélérer le rythme”.