Du 9 au 13 septembre 2024, la Guinée a accueilli la réunion statutaire mi-annuelle de la ZMAO, dans l’objectif d’évaluer les progrès réalisés par les pays membres pour la création de la monnaie unique “Eco”, dans la sous-région ouest-africaine. En marge de la réunion, la Guinée a pris la présidence des organes de la ZMAO pour un mandat de 6 mois, notamment Karamo Kaba, Gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG), Mourana Soumah, ministre de l’Economie, qui ont été élus respectivement président du comité des gouverneurs et celui du conseil de convergence.
Pour en savoir davantage sur l’organisation et ses perspectives à court terme, Mohamed Lamine Conté, 1er vice-gouverneur de la BCRG et représentant du gouverneur au cours de l’évènement, a accordé une interview exclusive à la rédaction d’EcoFinance Business.
Par Abdoulaye Diallo
La Guinée vient de prendre la présidence du comité des gouverneurs de la ZMAO durant 6 mois, quelles seront les actions que vous mènerez ?
Oui effectivement, le Gouverneur de la BCRG, Dr Karamo Kaba vient d’être élu, à l’unanimité par ses pairs de la ZMAO, comme Président du Comité des Gouverneurs de la ZMAO. Je voudrais aussi ajouter que la Guinée a été également honorée pour la Présidence des autres organes de la ZMAO pour les 6 prochains mois, notamment le Comité Technique et le Conseil de Convergence de la ZMAO. Monsieur le Gouverneur va poursuivre les actions entamées par ses prédécesseurs en vue de concrétiser la création de la Banque centrale commune de la CEDEAO et le lancement de la monnaie unique en 2027. En outre, comme l’avait souligné mon homologue du Liberia, nous allons mettre un accent particulier sur d’autres aspects importants tels que l’harmonisation des cadres politiques, des statistiques, de la réglementation prudentielle, et le renforcement de la surveillance transfrontalière dans les domaines de la supervision des banques, des assurances et des Fintech.
Comment évolue la convergence macroéconomique de l’harmonisation des politiques de la zone ZMAO ?
Au titre de la convergence macroéconomique, la ZMAO, et plus généralement la CEDEAO, a mis en place 6 critères dont 4 de premier rang et 2 de second rang, que chaque pays doit respecter. Les critères de premier rang portent sur le taux d’inflation en moyenne limité à 5%, le déficit budgétaire rapporté au PIB fixé au maximum à 3 %, la limitation du financement du déficit budgétaire par la banque centrale à 10 %, et la couverture des réserves en mois d’importations de biens et services au minimum 3. L’ensemble de ces critères ont pour objectif, essentiellement, de favoriser la stabilité macroéconomique dans la région, avant le lancement de la monnaie. Ceci est fondamental pour une zone monétaire dans la mesure où la convergence macroéconomique permet de réduire l’asymétrie des chocs entre les économies et donc contribue à rendre la zone optimale du point de vue monétaire. Cette récente évaluation des critères de convergence en 2023 montre qu’aucun Etat membre de la Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest n’a respecté l’ensemble des critères de premier rang.
À date aucun pays de la ZMAO ne remplit les critères de convergences. Quelle est la raison de ce retard ?
Les États membres de la ZMAO ont dû faire face à des défis macroéconomiques difficiles en 2023. Ces défis proviennent principalement des chocs externes dus à des tensions géopolitiques, notamment le conflit russo-ukrainien, les vestiges de la pandémie de la COVID-19 et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement qui l’accompagnent. Ces différents facteurs ont entraîné une faible croissance de la production, une exacerbation de l’inflation, une augmentation de la dette publique, un creusement des déficits budgétaires, des mouvements de taux de change volatils et un resserrement des conditions financières dans les pays membres de la Zone. Cette situation a entrainé des répercussions sur la performance macroéconomique des Etats membres de la ZMAO en termes du respect des critères de convergence macroéconomiques. Le critère relatif à l’inflation continu de poser problèmes aux Etats membres et donc constitue à ce jour l’un des défis majeurs auquel notre zone fait face.
Y’a-t-il des mesures qui sont mis en place pour les pays membres de la ZMAO pour pallier aux effets de ces conflits ?
Bien entendu. En plus des efforts menés par chaque pays, l’IMAO produit un rapport sur la convergence. Dans ce rapport, l’IMAO identifie des défis, des observations et surtout des recommandations pour la zone et pour chaque pays. Certaines de ces recommandations sont mises en œuvre par les pays membres tandis que d’autres sont exécutées par l’IMAO.
A titre d’exemple, une des conséquences de la guerre russo-ukrainienne est la chute de la production agricole dans ces pays. Ce qui a entrainé une hausse des prix des denrées alimentaires dans nos Etats, et donc de l’inflation. Pour faire face à cela, l’IMAO recommande à ses Etats d’investir davantage dans l’agriculture à travers le soutien au secteur privé, notamment. En plus, avec les projets de l’IMAO en cours (tels que l’identifiant bancaire unique) lié au développement du système financier, des systèmes de paiements, de la règlementation prudentielle, etc., on s’attend à une nette amélioration des conditions financières. Ce qui est une bonne nouvelle pour le secteur privé qui bénéficiera davantage d’offre de crédits pour la consommation et l’investissement.
En tenant compte des fragilités économiques des pays membres, comptez-vous assouplir les objectifs de convergences d’ici 2027 ?
Je voudrais rappeler que lors de la 49ème réunion du Comité des Gouverneurs de la ZMAO tenue à Conakry le 12 septembre 2023, mes homologues et moi-même avions lancer un appel croissant à la modification des objectifs de convergence pour permettre une certaine forme de variabilité autour des objectifs, tout en tenant compte des vulnérabilités et des fragilités des économies des États membres et de leur sensibilité aux chocs symétriques. Permettez-moi de dire que chaque pays doit redoubler d’efforts pour satisfaire les critères de convergence avant l’horizon 2027. D’ailleurs, il y a actuellement une réflexion au niveau de la CEDEAO par rapport au respect de ces critères. Une des propositions est que si un pays respecte les 4 critères ne serait-ce qu’une année (2024, 2025 ou 2027), ce dernier pourrait être qualifié pour le lancement en 2027. Une autre réflexion consiste à réduire les critères à remplir à 3, au lieu de 4.
Dans votre mode de communication, on a l’impression qu’il y a une monnaie commune pour la ZMAO et une autre pour la CEDEAO. Pourriez-vous éclaircir cette confusion pour nos lecteurs ?
Le programme monétaire de la ZMAO est une partie intégrante du programme monétaire de la CEDEAO. Cela veut dire que la ZMAO s’occupe de ses Etats membres, sachant que la monnaie ECO concerne l’ensemble de la CEDEAO.
En effet, je voudrais insister pour dire ceci, car il y a toujours une confusion à ce niveau : la ZMAO ne travaille pas actuellement pour le lancement d’une monnaie unique ZMAO. La seule monnaie unique en Afrique de l’Ouest reste l’ECO de la CEDEAO pour l’ensemble de ses 15 Etats membres. La ZMAO met en œuvre les politiques nécessaires pour que ses 6 Etats membres (la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone) soient prêts d’ici 2027 pour le lancement de l’ECO.
La Guinée remplit 2 critères sur 4, pensez-vous que nous atteindrons les quatre avant 2027 ?
D’abord, je suis heureux de vous informer, si vous n’avez pas encore l’information, que le taux d’inflation en Guinée a été de 4,8 % en juillet 2024. C’est une excellente nouvelle. Ceci, grâce à la politique monétaire et de change de la BCRG, et aux efforts du gouvernement, ayant permis de stabiliser notre monnaie ces dernières années. Vous êtes témoins que le franc guinéen est resté très stable vis-à-vis des principales devises internationales, notamment le dollar, l’euro ou le CFA. Ainsi, je suis persuadé que notre pays sera au rendez-vous. En fait, la Guinée a été l’un des meilleurs élèves de la ZMAO en matière de respect de critères de convergence au cours des dernières années. Nous avons systématiquement rempli 3 des 4 critères. Il nous restait l’inflation, ce qui est désormais le cas. Vous pouvez le vérifier !
Pour finir, comment peut-on rendre plus dynamique la ZMAO qui n’est pas très connue, pourtant créée en 2000 ?
Très bonne question. J’avoue que l’IMAO l’agence technique de la ZMAO, en charge de mettre en œuvre le programme de la ZMAO peut mieux faire en matière de communication. L’IMAO a mis en place plusieurs projets en faveur de ses Etats, dont le projet de système de paiements, le projet du marché de la dette et celui de l’Identifiant Bancaire Unique. Tous ces projets sont en cours d’implémentation. L’IMAO doit davantage communiquer pour informer le public sur toutes ces activités qui contribuent sans aucun doute au bien-être des populations de la ZMAO. Cependant, les Etats membres chacun en ce qui le concerne doit également s’impliquer dans la campagne de sensibilisation de leur population sur les acquis de la ZMAO et les avantages du lancement de la monnaie unique CEDEAO.