A l’occasion de la journée mondiale de la santé le 7 avril 2024, Jean-Mathieu Bart, chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) depuis 2017, et actuellement en poste au Programme national de lutte contre les maladies tropicales négligées à prise en charge des cas (PNLMTN-PCC) en Guinée, coordonné par le Pr Mamady Camara au Ministère de la Santé. Il nous aide à en savoir d’avantage sur la maladie du sommeil transmise par la mouche tsé-tsé.
Par Abdoulaye Diallo
Quel est le but de vos recherches sur la maladie du sommeil et la mouche tsé-tsé ?Après 10 ans de recherches, j’ai voulu connaitre les réalités du terrain et porter les thématiques de recherche au cœur même des foyers de transmission. C’est ainsi que j’ai voyagé en Guinée Equatoriale, au Cameroun et, depuis 2019, en Guinée. Le but de nos recherches est d’améliorer nos connaissances sur les mécanismes qui permettent au trypanosome de circuler dans son environnement, de développer de nouveaux tests diagnostiques ainsi que des traitements pour lutter contre la maladie.
Quelles sont les zones touchées par la maladie du sommeil en Guinée ?
En Guinée, les personnes à risque d’être atteinte de la maladie du sommeil sont celles qui vivent à proximité de la mangrove entre Boffa et Forécariah, en passant par Dubréka. Cela représente environ 600 000 personnes dont 60 000 sont très fortement exposées à la piqure de la mouche tsé-tsé, de par leur activité (coupe de bois, riziculture, pêche, récolte du sel).
Quels sont les stratégies pour lutter contre la trypanosomiase ?
Sur le terrain 2 stratégies sont menées. La première consiste à diagnostiquer les malades, soit par notre réseau de 101 centres de santé où ils sont entièrement pris en charge par le programme. L’autre approche est le dépistage actif où l’équipe du programme soutenue par les agents de santé et les relais communautaires vont à la recherche des malades dans les zones les plus touchées.
La seconde stratégie consiste à empêcher le contact entre l’homme et la mouche tsétsé. Pour cela, chaque année, environ 15 000 écrans bleus fabriqué par la société Vestergaard imprégnés d’insecticide sont déployés dans la mangrove et dans les zones d’activité humaine. À savoir que ces écrans doivent être remplacés chaque année et nécessite le travail d’une équipe d’une dizaine d’entomologistes et de piroguiers, etc., pendant presque 3 mois.
Quels sont les résultats obtenus à date ?
Actuellement, et c’est une fierté pour le monde scientifique qui travaille sur cette maladie, moins de 1 000 cas sont dépistés chaque année sur le continent Africain. Ce sont moins de 30 cas en Guinée en 2023 ! Alors que cette maladie a fait des ravages par le passé avec des dizaines de milliers de victimes. Notre but, qui est en ligne avec les recommandations de l’OMS, est d’éliminer la transmission à l’homme d’ici 2030. Une première étape vient d’être franchie en Guinée avec la soumission ce mois-ci à l’OMS du dossier de validation de l’élimination de la maladie du sommeil comme problème de santé publique. Cela signifie que depuis 5 ans, on observe moins de 1 cas pour 10 000 habitants dans les zones à risque qui sont Boffa, Dubréka et Forécariah.
Comment sont financées vos recherches ?
Il faut savoir que l’état guinéen joue un rôle primordial en permettant à l’équipe, d’évoluer dans un cadre administratif propice à la mise en œuvre de nos activités. Par contre, la principale source de financement vient de la Fondation Bill et Melinda Gates (BMGF), qui soutient le PNLMTN-PCC depuis 2012, mais également les appuis publics de l’IRD, l’OMS et récemment des partenaires tels que l’Institut Pasteur, DNDi ou FIND. Ces fonds contribuent aussi à faire travailler une équipe de près de 30 personnes en Guinée (chercheurs, médecins, entomologistes, étudiants, etc.).
Avez-vous besoin de moyens supplémentaires pour continuer vos recherches ?
Comme vous l’aurez compris, les trois piliers pour éliminer la maladie du sommeil sont la lutte médicale et entomologique, la recherche et la communication avec les communautés. Dans chacun de ces piliers, nous avons un besoin constant de financement. Si la BMGF nous soutient pour la lutte jusqu’en 2025, les activités de recherche restent le parent pauvre de ce type de programme de lutte. Pourtant, sans recherche, la lutte ne peut pas être efficace.
Quelles sont les solutions que vous avez pour pallier au manque de financement ?
La baisse du nombre des cas de la maladie s’accompagne naturellement d’une baisse de motivation des bailleurs de fonds et des communautés. Pour pallier cet obstacle, une des stratégies est d’intégrer la lutte d’autres maladies tropicales, telles que le paludisme, la lèpre, l’ulcère de Buruli, etc. à nos activités de dépistage. C’est une stratégie qui porte ses fruits et l’engouement des populations lors des prospections médicales en est une preuve irréfutable.
Pour finir cet entretien, quels sont les perspectives du PNLMTN-PCC pour 2024 ? En 2024, nous avons l’intention de créer une association des anciens trypanosomés. Cette association aura pour but de faire vivre et circuler les informations pour motiver les populations à se faire dépister et ainsi « débusquer » les derniers malades le plus rapidement. Les médias (radio communautaires, TV, presse, réseaux sociaux) seront sollicités et cela aura un coût. Mais c’est à ce prix que nous parviendrons à faire disparaitre cette maladie pour toujours.