Le secteur minier guinéen reste à tout égard confronté à deux défis majeurs qui sont d’ordre structurel et stratégique.
Avis d’expert
Défis d’ordre structurel
La forte dépendance de l’économie guinéenne au secteur extractif, la prédominance du secteur minier dans le choix des politiques de développement et la dépendance à un seul acteur en matière d’exportation des produits miniers sont des éléments qui déterminent les problèmes structurels auxquels fait face la Guinée dans son secteur des mines.
Le domaine extractif a constitué en 2018, 30,76% des recettes budgétaires de l’Etat guinéen, soit 1/3 des recettes publiques. Alors que le prix des produits miniers reste assez fluctuant sur les marchés mondiaux, ce qui entraîne une incertitude dans le financement des projets de développement. Selon la cellule technique de conjoncture macroéconomique, l’or et la bauxite ont représenté 80% au niveau de la balance commerciale de la Guinée en 2020.
Quant à la prédominance du secteur minier dans le choix des politiques de développement, il est à noter que dans le subconscient des gouvernants guinéens, le seul moyen de diversification de l’économie nationale a été l’augmentation du niveau de production et l’octroi davantage de permis d’exploitation. Entre 2010 et 2020, le nombre de sociétés est passé de 6 à 17 selon les données du MMG. Quant au niveau de production, il a augmenté de 17 millions de tonnes en 2010 pour atteindre 21 millions en 2015 et 70 millions de tonnes en 2019. D’après le USGS, la production a augmenté de 250% entre 2015 et 2017 soit une augmentation de 40 millions de tonnes. Ce qui fait que depuis 2016, le secteur extractif représente en moyenne 16,4% du PIB contre 7,7% pour l’agriculture et 6,6% pour les services. Donc une régression des autres secteurs par rapport au domaine minier. Nous pouvons dire en ce moment que l’économie guinéenne présente des séquelles du syndrome hollandais.
Enfin, la dépendance à un seul acteur dont la Chine. Les exportations vers la Chine ont représenté 94% des exportations totales de la Guinée en 2019. A lui seul, le secteur minier représente 91% des exportations de la Guinée, exclusivement orientée vers la Chine. Cette double dépendance à la Chine et au secteur des mines, place l’économie guinéenne dans une position problématique. Quand l’économie chinoise ralentit, celle de la Guinée se contracte.
Aspects Stratégiques
Le problème stratégique se situe à deux niveaux :
La méconnaissance de l’atout stratégique de la Guinée dans le paysage minier mondial et l’opportunité géopolitique dont elle n’arrive pas à tirer profit constituent les problèmes majeurs de notre pays.
Le premier point détermine l’incapacité de la Guinée à transformer son potentiel bauxitique en réels axes de développement. C’est -à -dire que le pays n’arrive pas à contrôler l’amont et l’aval de la chaîne de valeur. Notamment, son incapacité à exercer un contrôle sur le prix de la bauxite et mettre en place des mécanismes pouvant inciter les compagnies à transformer sur place la bauxite guinéenne. Atteindre cet objectif aura un double avantage pour l’économie guinéenne : en général, c’est le renforcement de la résilience de notre économie face aux chocs extérieurs et la création d’une valeur ajoutée, en particulier les emplois stables, la stabilité économique. Plus important encore, il faut ajouter que la valeur de l’alumine est 7 fois plus importante que celle de la bauxite.
Le dernier point met en exergue la compétition internationale pour la décarbonisation des économies qui exacerbe la pression sur certains métaux essentiels pour la transition énergétique en particulier l’aluminium. Or, il se trouve que l’aluminium est un élément clé de cette transition, car il permet la transmission d’électricité tout comme le cuivre, il rentre également dans la fabrication des batteries pour véhicules électriques ainsi que dans la fabrication des avions.
Connaissant l’importance stratégique de ce métal, et la présence de l’ensemble des grandes multinationales du secteur en Guinée, l’Etat devra s’arroser d’une stratégie pouvant permettre à la Guinée d’occuper une place de choix dans les relations bi et multilatérales avec ces pays dépendant du métal blanc, étant donné que leur croissance économique dépend de l’approvisionnement guinéen en bauxite.
Bref : Les deux éléments abordés dans cette analyse constituent des dilemmes conséquents pour la prospérité économique de la Guinée. L’enjeu stratégique permet aux pouvoirs publics guinéens de reconnaître ses marges de manœuvre et d’anticiper sur le cartel d’entreprise qui opère sur son territoire national afin de tirer profit des investissements importants dans ce secteur. Alors que les défis structurels jettent un regard sur la transformation économique du pays à travers ces ressources bauxitiques afin d’éviter la trajectoire de la malédiction des ressources naturelles.
Mohamed Lamine SIDIBE
Spécialiste des enjeux stratégiques et
géopolitiques des matériaux critiques/Gouvernance minière