Dans le cadre du respect des articles du code minier, le 3 août dernier les autorités de la transition ont exigé le rapatriement de 50 % des recettes issues des exportations des sociétés évoluant en Guinée d’ici le 31 août.
A sept jours de la date butoir, Dr Karamo Kaba, Gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) répond à cinq questions de la rédaction d’Ecofinance Guinée pour mieux comprendre l’impact de cette mesure pour l’économie nationale.
Par Ibrahima Traoré
1/ Au début du mois d’août, le gouvernement a pris une décision portant sur le rapatriement de 50 % des recettes minières d’ici le 31 août 2023. Qu’est ce qui a motivé l’Etat à prendre cette décision ?
Cette décision est le fruit d’un long processus de sensibilisation des sociétés minières au respect des textes législatifs et réglementaires. Elle est la volonté du président de la République, le colonel Mamadi Doumbouya, de normaliser notre pays et d’en faire un pays où on respecte les lois guinéennes et la Guinée.
Nous avons ainsi initié dès le début du mois de juin de 2022, des contacts avec la Chambre des mines et des sociétés minières pour les faire remarquer plusieurs manquements et proposer des voies d’amélioration. L’idée était d’arriver à un consensus de place où les acteurs prendraient des engagements qu’ils tâcheraient ensuite de respecter. L’expérience a montré en effet que lorsque c’est le cas, ce consensus de place est mieux respecté qu’une loi où les acteurs n’ont pas souvent été parties prenantes.
Cette action était absolument fondamentale dans la mesure où, en dépit de textes de loi et de réglementation portant sur les relations financières de la Guinée avec l’étranger, précisant que les revenus adossés à toute exportation doivent être rapatriés intégralement dans le système bancaire guinéen (soit via les banques soit via la BCRG), le constat est que ces revenus miniers ne sont pas ou peu rapatriés.
Au soutien de ces textes, l’instruction présidentielle du 22 décembre 2022 est venue fixer le cadre, à savoir un taux de rapatriement pour toutes recettes d’exportation à toutes les sociétés exportatrices, y compris les sociétés minières, d’au moins 50 %.
2/ Quel impact aura une telle décision sur l’économie guinéenne en cette période de crise multifactorielle ?
Avant de répondre à cette question, peut-être est-il nécessaire de préciser que nous ne sommes pas dans un cas d’urgence au niveau de nos réserves de change, actuellement à 1,358 milliards de USD. Cette décision va davantage les conforter.
Cela étant dit, l’impact majeur sera très clairement une appréciation du taux de change du GNF. Il va s’en dire que cette situation va grandement nous aider pour contrer le choc inflationniste importée résultant de différentes crises multifactorielles. L’accélération anticipée du reflux de l’inflation serait encore plus importante si les devises ainsi rapatriées permettent également de soutenir l’investissement pour développer l’économie guinéenne. Nos concitoyens doivent donc comprendre que l’appréciation du GNF permettra de réduire le taux d’inflation, ce qui est bon pour leur pouvoir d’achat.
3/ A l’approche de la date limite de cette décision, quel est à l’instant le niveau de mise en œuvre de cette décision (le nombre de sociétés ayant rapatrié et celles qui n’ont pas fait), peut-on attendre que vous accordiez un délai supplémentaire aux sociétés ?
Une commission technique est actuellement en train de travailler avec les sociétés minières sur la base d’un programme proposé par la Chambre des mines. Cette commission, composée des représentants de la BCRG, du ministère du Commerce, de la Douane et du GUCEG, devrait échanger avec chaque société minière sur le niveau de ses rapatriements et surtout sur les documents justifiant ces rapatriements auprès du système bancaire. C’est à l’issue de ce travail qu’un point sera fait. Un point complet a également été fait conjointement avec l’Association professionnelle des banques de Guinée.
Au final, personne ne pourra dire qu’il a été pris par surprise. Nous avons fait preuve de pédagogie plus que de raison. Mais arrivé à un moment, il faut y aller.
4/ Quelles sont les sanctions qui sont prévues pour les sociétés défaillantes ?
En tant que tutelle des établissements financiers de Guinée, la Banque centrale n’a pas d’autorité directe sur les entreprises minières ou autres. C’est la raison pour laquelle nous avons tâché d’avoir une démarche très incluse en associant au maximum les ministres Lamah (Commerce/PME), Magassouba (Mines), Dr. Condé (Budget) et Cissé (Economie/Finances).
Je veux vraiment les remercier pour leur aide indispensable. Je tiens à préciser qu’il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier de désaccord entre nous dans le respect de l’application de l’instruction du président de la République, colonel Mamadi Doumbouya.
Pour ce qui concernent les sanctions dans les mains de la BCRG, cela sera tout simplement de demander aux banques de suspendre voire d’arrêter toute relation commerciale avec une société exportatrice qui ne sera pas en conformité avec ses engagements de rapatriement. Dois-je rappeler que ce non-respect des recettes de rapatriement peut être vu comme une infraction à la législation en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT), avec tout ce que cela inclut comme conséquences en termes d’image ou autres.
D’autres mesures coercitives pourront être également prises par les autres ministères. Nous allons laisser la primeur des annonces aux ministres concernés.
5/ Quel est votre dernier message ?
Mon dernier message est de dire à tous les acteurs qu’il n’y a pas de volonté punitive. Si nous sanctionnons, c’est qu’on aura tous échoué. L’idée n’est pas de sanctionner les entreprises minières ou les banques. Nous sommes reconnaissants du rôle joué par ces acteurs dans la résilience de notre économie.
Mais tout le monde doit savoir que désormais les textes de loi et règlements ainsi que les instructions présidentielles seront respectées. A cet égard, les autorités et la BCRG restent fermes, mais demeurent ouvertes à la prise de toutes mesures idoines tendant au respect de ces textes.