Par Rafik Ammar, Responsable des Relations gouvernementales et des affaires européennes et auteur de l’essai “Contours et enjeux entre l’EU et l’Union africaine”.
En 2019, les compagnies des eaux en Angleterre et au Pays de Galle se sont fixé pour objectif de tripler le taux de réduction des pertes (ou « fuites »), en atteignant d’ici 2030 le même niveau d’amélioration de la gestion des eaux qui avait auparavant pris trente ans pour être atteint (1990-2020). Cet effort permettra d’économiser près d’un milliard de litres d’eau par jour d’ici 2030, soit environ un tiers des pertes actuelles. La réalisation de cet objectif constitue un énorme défi pour ces compagnies. Parmi les 347 000 km de canalisations, certaines datent en effet du 19ème siècle. Ce travail est pourtant vital et les compagnies des eaux devront innover davantage dans la manière de prévenir, identifier et traiter les pertes pour nous protéger de la sécheresse dans le futur. C’est également essentiel pour parvenir à laisser circuler plus d’eau dans la nature.
Avant tout, l’engagement d’intérêt général
Les compagnies des eaux anglaises ont pris plusieurs décisions concernant la gestion des eaux : tout d’abord, un Engagement d’Intérêt Général (en anglais, « Public Interest Commitment ») visant à « tripler le taux de réduction des pertes à l’échelle sectorielle ». Ensuite, elles ont relevé le défi de la Commission nationale pour l’infrastructure (National Infrastructure Commission) en s’engageant à réduire de moitié les pertes d’ici 2050.
Actuellement, les fuites varient de 80 à 170 L par propriété par jour, ce qui équivaut à l’ajout d’une personne supplémentaire par foyer au Royaume-Uni. Le niveau de fuites varie considérablement en raison d’une gamme complexe de facteurs liés à la performance des infrastructures, à la pression de l’eau, à l’environnement et au climat.
Le National Framework for Water Resources établit que les besoins publics en matière d’approvisionnement en eau, qui tiennent compte de la croissance démographique, peuvent être satisfaits en combinant la réduction de la consommation, la réduction des fuites, l’augmentation de l’approvisionnement et le déplacement de l’eau des zones excédentaires vers les zones de besoins. La réduction des pertes n’est donc qu’une partie de la solution, mais elle est essentielle.
A qui la faute ?
La question de la responsabilité des fuites est également déterminante. Il a été estimé qu’environ 230 000 km de tuyaux appartiennent à des usagers ou constituent partie intégrante de leur propriété. Les fuites provenant de cette partie du réseau constituent 25% des pertes en Angleterre et au Pays de Galle et sont généralement dues à une mauvaise plomberie. Une étude réalisée par Defra a cependant démontré qu’un transfert de propriété de ces tuyaux aux compagnies d’eau résulterait en une augmentation significative des coûts pour les usagers – le chantier n’a donc pas abouti. Les Water Resources Management Plans, soumis à l’Agence de l’environnement en 2019 font état de l’analyse réalisée par les compagnies d’eau concernant les exigences en matière de réduction des fuites pour 2050. Les prévisions actuelles suggèrent que les réductions requises d’ici 2030 ne seront pas tout à fait atteinte. En outre, seules quatre compagnies ont produit des WRMP basés sur un horizon de 25 ans. Les prévisions des autres entreprises ont été extrapolées à partir des tendances actuelles de réduction des fuites. L’année 2020-2021 a été une année difficile pour les performances des compagnies des eaux en matière de fuites. Pour la première fois, la trajectoire est descendante et de nombreuses entreprises ont obtenu des résultats bien inférieures par rapport à la décennie précédente.
Les compagnies d’eau ont établi un plan d’action pour les mois de septembre à décembre 2022. Il s’agit tout d’abord d’améliorer la quantification des fuites les plus anciennes et de comprendre si ces tuyaux peuvent faire l’objet de rénovations. Le même procédé de quantification doit être adopté pour les tuyaux appartenant aux usagers, afin d’évaluer les risques liés à la détérioration. Il sera ensuite nécessaire de quantifier l’ampleur des contraintes liées aux ressources de la chaîne d’approvisionnement et tirer profit des compteurs et réseaux intelligents. À partir du mois de décembre, une phase de développement débutera (sélection pour rénovation, modelage, établissement de standards et guides de bonnes pratiques).
Par comparaison, la Roumanie, l’Espagne, la Norvège et l’Irlande sont les pays subissant le plus de fuites d’eau (entre 5 000 et 6 000 m3 par km par an). L’Angleterre se situe à un peu plus de 3000 et la moyenne européenne – hors pays les plus consommateurs – se situe en dessous de 1 0000.
Le nouveau processus présente une approche solide qui permettra aux industries et aux entreprises individuelles d’atteindre leurs objectifs. Les niveaux actuels de fuites ainsi que les réductions historiques réalisées, l’âge du réseau et les contraintes géographiques montrent qu’une approche unique n’est pas la solution, il faut donc adopter différentes approches, notamment via l’examen des voies interconnectées. Le cadre proposé permet aux entreprises de déterminer l’approche la plus adaptée aux contraintes qu’elles rencontrent, et de voir si un changement de stratégie est nécessaire.
Enjeu social, enjeu économique, l’accès à l’eau est depuis toujours un enjeu de souveraineté et les risques géopolitiques abondent. Quels outils de prévention face aux risques géopolitiques et environnementaux ? La gestion des fuites d’eaux est une clef de lecture possible qui permet de renforcer la souveraineté des pays qui ont « le luxe » d’en disposer.