Enquête par Ibrahima Traoré
Depuis la condamnation d’Ecobank au paiement de 53 344 502 109 GNF et 8 371 960,69 USD à son client ‘’société Hamana SA’’ par suite de crédit accordé, la saisie des biens de la banque, mais aussi l’interpellation du secrétaire de la Fédération syndicale autonome des banques, assurances et microfinances de Guinée (FESABAG), Abdoulaye Sow, tous les établissements de crédits sont en grèves.
Dans cette période de crise socio-politique, la crise sanitaire et les effets de la guerre en Ukraine qui impactent fortement les activités économiques, le gouvernement et les entreprises sollicitent le soutien des banques. La grève des employés des banques en cette période sensible pourrait avoir des répercussions néfastes sur les activités économiques du pays.
Selon un des syndicats « on aurait dû laisser l’inspection du dossier au niveau de la cour suprême, ou au niveau de la Cour d’appel ou bien même à la Cour commune de justice et d’arbitrage de la CEDEAO afin de ne pas pénaliser les banques. Elles doivent continuer à travailler et à servir les clients comme il se doit ».
Rappel des faits
Hamana SA est une entreprise guinéenne qui a des comptes bancaires chez Ecobank. Mohamed Kourouma, PDG de ladite société réclamerait environ plus de 100 milliards GNF à Ecobank qui selon lui aurait remporté le procès qui l’opposait à l’établissement bancaire en janvier 2021.
En 2011, les sociétés Ecobank Guinée et Hamana SA auraient eu des relations d’affaires pour le financement d’une importation de 15 000 tonnes de riz de Birmanie et 10 000 tonnes de riz indien. De ce fait, l’établissement de crédit aurait accordé à son client deux lettres de crédit pour un montant de 5,75 millions USD et 4,25 millions USD et un découvert bancaire de 5 milliards GNF.
D’après notre enquête, « de 2011 à 2016, Hamana estimait avoir des difficultés financières qui l’empêchaient de remplir ses obligations envers Ecobank. La banque a dû réajuster à chaque fois l’échelonnement de la période de recouvrement de sa créance sous proposition de la société Hamana. Ce qui a alors engendré d’importants agios à payer et aggravé son niveau d’endettement ».
Procédure judiciaire
Après des années d’attentes, Ecobank déclenche en 2016 une procédure d’injonction de payer des montants d’environ 8 millions USD et 971 millions GNF devant le Tribunal de première instance de Mafanco. La décision rendue le 19 mai 2016 était en faveur d’Ecobank. Ainsi, la société Hamana fera alors un recours auprès de la Cour d’appel de Conakry.
Par ailleurs, « Ecobank avait effectué d’importants virements à des tiers depuis mes comptes sans mon autorisation. Elle aurait ouvert seize comptes sur lesquels je ne reconnais que deux comptes et elle prélevait des agios et d’autres frais sans l’accord de la société », a fait savoir le PDG de la société Hamana.
Selon une autre source, « Hamana estimait que la banque lui devait des sommes d’environ 1 millions USD et 32 milliards GNF ».
Recommandation des expertises comptables
La contradiction entre les deux parties au niveau des chiffres s’était installée. La Cour a alors ordonné le 03 juillet 2018 à travers l’arrêt avant-dire droit N°360, une expertise comptable qui sera chargée de déterminer la totalité des facilités et prêt accordés par Ecobank, de déterminer les intérêts et tous les frais relatifs à ces facilités et les paiements effectués, mais aussi d’établir le solde entre les deux parties. C’est ainsi que le cabinet Espsilone fut choisi. Dans son rapport, il serait ressorti que la société Hamana devait à Ecobank les sommes d’environ 989 millions GNF et 7 millions USD.
Toutefois, la société Hamana aurait contesté ce rapport et sollicité une contre-expertise. Le 23 avril 2019, la Cour aurait désigné Karamoko Diaby, expert-comptable de se charger de l’affaire et d’en faire son rapport.
Le 12 janvier 2021, la Cour a rendu l’arrêt N°017 et condamnait Ecobank au reversement des montants d’environ 53 milliards GNF et 8 millions USD à l’entreprise Hamana.
Médiation du ministre de la justice
Les mouvements sociaux des syndicats de banques avaient commencé à monter. Le secteur bancaire menaçait d’aller en grève pour protester contre la décision de justice rendu le 12 janvier 2021 et exprimer leur solidarité envers Ecobank. C’est ainsi que le ministère de la Justice a entrepris la médiation entre les deux parties et un protocole d’accord fut signé le 28 janvier 2021.
Dans ce protocole, il ressortait qu’Hamana ne devait pas signifier l’expédition de l’arrêt N°017 du 12 janvier 2021 que le greffe de la Cour lui avait remis, et qu’Ecobank n’allait pas faire de recours ni devant la Cour suprême, ni au niveau sous-régional.
Pour ce faire, la mise en place d’un collège de cinq experts composés des deux experts antérieurement désignés par la Cour d’appel, un expert désigné par Ecobank, un expert désigné par Hamana, à cela s’ajoute un autre expert désigné par les quatre autres pour assurer la présidence, qui sera chargé d’étudier la situation.
En mars 2022, ce collège d’expert a déposé son rapport où il ressort que la société Hamana devait à Ecobank 8 millions USD, et que la banque à son tour devait 5 milliards GNF à la société Hamana. En mai 2022, la banque aurait adressé un courrier au ministre de la Justice d’alors pour respect du protocole.
Le 02 juin 2022, la société Hamana SA a adressé un courrier au président du collège des experts Ousmane Sylla, annonçant son retrait du protocole d’accord signé le 28 janvier 2021. Selon elle, cet état de fait s’explique par son désaccord avec les documents qui ont été utilisés par le collège des experts pour élaborer leur rapport.
Le 23 juin 2022, Ecobank aurait reçu une copie de l’arrêt N°017 du 12 janvier 2021 pour le paiement d’environ 103 milliards GNF et 16 millions USD à la société Hamana. La banque aurait alors dressé un procès-verbal de constat à la Cour d’appel de Conakry. Le 12 juillet 2022, la société Hamana dresse un procès-verbal de saisie et vente des biens de l’établissement de crédit en se servant du jugement de l’arrêt N°017 du 12 janvier 2021.
Retour à la case de départ
Au cours des entretiens avec Ecobank et Mohamed Kourouma PDG de la société Hamana, nous avons constaté que d’une part, le litige entre les deux parties était autour des agios pour l’irrégularité des paiements de la dette et le rejet du rapport fourni par le collège des experts mis en place par le ministère de la Justice par la société Hamana.
D’autre part, Mohamed Kourouma reprocherait l’inexistence sur ses relevés bancaires d’Ecobank un montant d’environ 310 000 USD transférés depuis la Suisse le 3 octobre 2012. Toutefois cette somme est un épiphénomène face au montant des litiges.
Au final la médiation entrepris par ministère de la Justice n’aurait pas mis fin au conflit. Vu la confusion entre les deux parties à ce jour, seul un retour vers les tribunaux de justice pourrait résoudre ces litiges.
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