À la suite de l’explosion dans le dépôt d’hydrocarbures de Coronthie le 18 décembre 2023, la Guinée a connu une crise majeure due au manque de distribution des produits pétroliers pendant environ 1 mois. Si la crise du carburant a été plutôt bien gérée par le gouvernement et la SONAP, les coupures d’électricité sont devenues un rituel quotidien, qui ont affecté l’activité économique en Guinée au premier trimestre 2024, particulièrement celles des petites et moyennes entreprises (PME) et des artisans.
Par Abdoulaye Diallo
Le calvaire des PME et des artisans au T1 2024
Après avoir connu un ralentissement de 1,3 % en fin d’année 2023 comparativement au troisième trimestre de la même année (BCRG), l’activité économique a été impactée par le délestage électrique et les effets de l’explosion dans le dépôt de Coronthie au premier trimestre 2024. Toutefois, les structures les plus fragilisées par la crise de l’électricité étaient les PME et les artisans.
En général les délestages ont lieu durant les heures de travail, entre 7h et 18h. Confrontés à cette réalité, les PME et les artisans sont dans l’obligation d’acheter en moyenne 3 à 30 litres de carburant par jour, soit une dépense allant de 36 000 à 400 000 GNF/jour pour faire fonctionner un groupe électrogène afin de mener leurs activités. Une charge devenue trop importante pour eux.
Le directeur d’une entreprise de marketing digital évoque la chute de son chiffre d’affaire durant cette période : « L’année dernière j’avais réalisé un chiffre d’affaires de 2,7 milliards GNF, mes activités marchaient bien. Cette année, nos prévisions indiquaient un montant de 1,2 milliard GNF à la fin du mois de mars. Malheureusement avec le délestage, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 200 millions GNF. Je suis dans une impasse et je dois diminuer le personnel pour ne pas fermer ».
Ibrahima Kalil, gérant d’un cyber café à Kaloum, est démotivé : « Avant la crise d’électricité, je gagnais entre 180 à 200 000 GNF par jour. Aujourd’hui, je gagne moins de 180 000 et je dois acheter 4 litres de carburant à 13 000 GNF le litre, au marché noir. Je n’arrive pas à m’en sortir dans mon activité ».
Mariam Kaba, fondatrice d’un salon de coiffure à Matoto nous explique la galère de certains salons de beauté : « Actuellement travailler au salon est un calvaire, quand nous recevons des clientes nous sommes obligées d’allumer le groupe électrogène pour les services qui nécessitent l’utilisation de machines tels que le brushing, la manucure ou encore mettre la cliente sous la fraîcheur pour éviter que le maquillage coule, etc. La charge de payer le carburant tous les jours est entre 300 000 et 400 00 GNF, c’est trop ».
De plus, viendrait s’ajouter le casse-tête de l’entretien du groupe électrogène et l’acquisition du carburant dans les stations-services au cours de cette période. Des pompistes refuseraient de fournir le carburant dans les bidons et demanderaient aux acheteurs de venir avec le groupe électrogène. Cette confusion favoriserait l’achat du carburant dans les marchés noirs.
Travailler la nuit pour joindre les deux bouts
Les artisans et les PME qui n’avaient pas les moyens de se procurer du carburant pour faire fonctionner un groupe électrogène, ont vu leurs activités au ralenti et étaient obligés de travailler au retour du courant la nuit. C’est le cas de Moussa Camara, âgé de 26 ans, responsable de l’atelier de menuiserie de son père : « Je n’ai jamais vu ça en Guinée, sans courant je ne peux plus travailler. Je n’arrive plus à payer la scolarité de mes frères et sœurs. Les travaux que je faisais en moins de quatre jours grâce aux appareils, me prennent des semaines maintenant en travaillant la nuit. C’est difficile pour moi ». Qu’en est-il des vitreries, des ateliers de couture et de soudure, des spa,… ? Les gérants de PME et artisans que nous avons rencontrés étaient épuisés et démotivés, ils voyaient chaque jour leur objectif du jour pas atteint.
Les grandes entreprises ont du mal à envisager l’avenir
Si les grandes entreprises ont la possibilité d’avoir de l’énergie durant les coupures, elles commencent à ressentir l’impact de la diminution de l’activité en Guinée. Un directeur d’une grande société de service à Kaloum nous avertit : « Nous ressentons la baisse de l’activité des PME et des artisans qui sont nos clients. Nous sommes aussi inquiets, car cette situation aura forcément des répercussions sur notre chiffre d’affaire ». Il ajoute : « D’ailleurs nous sommes en train de revoir nos prévisions à la baisse et réduire toutes nos dépenses car nous n’avons aucune lisibilité sur l’avenir ».
Les raisons des coupures d’EDG
Les raisons du délestage électrique en Guinée seraient d’ordre financier, technique et climatique. Selon nos sources, la société Électricité de Guinée (EDG) aurait une dette importante impayée envers ses fournisseurs, des problèmes techniques (pannes, maintenance, etc.), et un déficit d’eau dans les barrages hydroélectriques.
Réaction du gouvernement face au délestage
Depuis sa prise de fonction le 29 février 2024, le premier ministre Amadou Oury Bah a fait de la déserte en électricité, l’une de ses priorités. De plus, dans un entretien accordé à la RFI le 12 mars, il avait annoncé l’arrivé d’un bateau avec des groupes thermiques pour assurer la production supplémentaire de l’électricité, mais à date, cette solution ne serait plus d’actualité. Une nouvelle qui avait impacté le moral de la population, sceptique par rapport à la capacité du CNRD à faire revenir le courant. Pourtant, selon une source gouvernementale, le gouvernement s’attèlerait jour et nuit à trouver des solutions pour une sortie de crise. D’ailleurs, Le ministère de l’Energie, de l’Hydraulique et des Hydrocarbures, a annoncé que la ligne d’interconnexion de l’OMVG a été activée pour permettre le transfert de 120 MW depuis le Sénégal (Senelec) vers EDG, dans un communiqué publié le mardi 30 avril 2024.
Focus sur une entreprise
Justin Massa Koïvogui, Directeur des opérations de la société Syli solaire, raconte ses difficultés : « À date, on a des clients qui n’ont pas réglé leurs factures parce qu’ils ne sont plus en activité à cause du délestage, et ça impacte nos finances ». Pour éviter la fermeture, il a mis en congé technique son personnel administratif et a gardé ceux qui travaillent sur le terrain. Payer entre 20 à 30 litres de carburant par jour pour allumer un groupe électrogène, en plus du manque de recette, est intenable pour Syli solaire. « Si ça continue comme ça beaucoup vont fermer et je connais des entreprises qui ont déjà fermé » réplique-t-il.