Par Jean Paul Guilavogui
En cette période de crise, le secteur financier a fourni un bilan positif, comment expliquez-vous cela ?
Très bonne question, cela peut paraitre en déphasage avec la situation mondiale ! C’est vrai qu’il y a des indicateurs qui ont connu une progression notamment le bilan des banques, les ressources et je dirais même les crédits à la clientèle. Ces indicateurs ont connu une évolution moyenne d’environ 37 % par rapport à 2021. On note également une augmentation du nombre de clients d’environ 16 %. C’est exceptionnel, mais cette évolution est liée en partie au financement des importations des produits pétroliers sur le dernier trimestre, mais aussi à la digitalisation. Cependant, il convient de relativiser, car le 1er semestre 2022 a été très difficile notamment avec une crise de liquidité rarement constatée par le passé. On note ainsi, que les chiffres au 30 septembre 2022 montrent une faible croissance du PNB global des banques de 2,5 % et un recul du résultat net du secteur bancaire d’environ 19 %. Ce recul était d’environ 31 % en juin 2022 par rapport à 2021. Cette situation est essentiellement liée aux ralentissements des activités de certains gros clients des Banques qui résultent en partie des impacts de guerre russo-ukrainienne.
L’appréciation de la monnaie a-t-elle joué un rôle dans ce résultat ?
Pas forcément, en Guinée nous importons plus de 80 % de ce que nous consommons. Cette appréciation du GNF vis-à-vis des devises étrangères notamment l’euro et le dollar a surtout permis aux opérateurs économiques de ne pas hausser les prix. Ça a surtout permis de contenir l’inflation en Guinée, mais aussi soutenir la consommation contrairement à la plupart des pays qui ont connu une inflation en hausse.
On remarque que les différences des taux de change sont parfois assez importantes, peut-on espérer que les banques s’alignent un jour sur un même taux de change ?
S’aligner ne sera pas évident, car ça dépend des ressources des banques et de leurs coûts. L’appréciation du franc guinéen par rapport au USD et à l’euro est en grande partie liée à la stabilisation du fixing de la BCRG par la mise en place de la plateforme électronique de change où les banques déclarent chaque jour leurs achats et ventes de devises. On note aussi le ralentissement de la demande de devises qui contribue aussi à la baisse des cours des devises étrangères par rapport au franc guinéen.
Quels sont les enjeux du secteur financier sur la responsabilité sociale (RSE) ?
La RSE occupe une place prépondérante dans notre secteur et se traduit sous diverses formes. Nous finançons régulièrement des rénovations d’établissements scolaires et sanitaires et faisons aussi des appuis à certains organismes. Nous avons également une responsabilité d’améliorer les conditions de vie de nos collaborateurs qui se traduit par des revalorisations de salaires et avantages à travers les conventions collectives. On note aussi la mise à disposition à la clientèle de produits innovants à des coûts réduits, parfois même sans frais pour favoriser l’inclusion financière. Nous favorisons aussi l’accès au crédit immobilier à des taux bonifiés. Comme vous le savez, le déficit du logement est aussi une préoccupation majeure en Guinée. Dans ce cadre, l’APB a signé avec la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG) et l’Etat guinéen une convention qui permettra aux fonctionnaires de se doter de logements à un taux de 6 % sur des durées de 10 à 25 ans. Je suis d’ailleurs particulièrement heureux de voir que c’est un jeune entrepreneur que j’accompagne depuis une dizaine d’années qui a pu livrer le 1er lot de logements sociaux à Matoto.
Dernièrement, le Gouverneur de la BCRG nous a associés à la campagne d’assainissement où nous avons pu mobiliser plus d’un milliard GNF auprès de nos membres pour l’achat des équipements qui ont été livrés dans toutes les régions de la Guinée. Je pense que ce sont des signaux forts de l’engagement du secteur financier auprès de la population. La prise en compte de la gestion du risque environnemental et social dans l’accès au financement est également de plus en plus vulgarisée.
Les entreprises et les particuliers estiment que l’accès du crédit aux banques est toujours difficile à cause des taux d’intérêt élevés, quelle est votre lecture de cette situation ?
C’est une question à relativiser en la mettant dans le contexte guinéen. Le coût élevé des ressources explique principalement les taux qui sont appliqués en Guinée. A titre d’exemple nous pouvons noter que le taux directeur qui sert de refinancement auprès de la BCRG est à 11,5 % alors que celui de la zone UEMOA est à 2,75 %. La comparaison est déjà nette en termes de coût des ressources. Un autre élément important qui est pris en compte, c’est le niveau du risque qui est relativement élevé en Guinée avec les difficultés judiciaires, l’absence de centrale des risques et bureau d’information de crédit, etc. Il convient toutefois de noter que les taux ont relativement connu une baisse depuis quelques années. Le secteur bancaire tient à rassurer la clientèle de son engagement à continuer les efforts pour favoriser les financements avec de meilleures conditions.
Est-ce que des stratégies sont en train d’être mises en place pour réduire ces taux ?
Il y a quelques années le taux moyen était aux alentours de 18 % et de nos jours il se situe aux alentours de 14 voire 13 %. Cette baisse résulte en partie de l’effet de la concurrence avec l’implantation de plusieurs banques qui diversifient leurs offres attrayantes pour la clientèle. Les clients deviennent de plus en plus exigeants et recherchent une meilleure qualité de service à moindre coût, ce qui oblige les banques à améliorer leurs offres avec des conditions attractives. Par ailleurs, des réflexions sont en cours avec la BCRG pour une définition d’un taux directeur pour qu’il reflète mieux la réalité. Elle permettra également d’avoir des taux de refinancement plus intéressant qui contribueront à la réduction des taux appliqués à la clientèle.
Les banques ont émis des lettres de crédit documentaires au profit de la SONAP pour l’achat des produits pétroliers évitant des pénuries du carburant dans le pays. Le moment des règlements arrive, est-ce que les marqueteurs ont commencé les recouvrements ?
Les recouvrements ont commencé et se poursuivent. Un suivi rapproché est fait avec la SONAP pour que les marqueteurs s’acquittent convenablement de leurs engagements en payant leurs factures à bonne date. Comme vous le savez, le secteur des produits pétroliers est en pleine restructuration depuis le mois de mai 2022 avec un monopole des importations assuré par la SONAP. Elle achète et revend aux marqueteurs qui ont leurs propres réseaux de distribution. Le modèle qui a été mis en place est que les banques ouvrent les lettres de crédit de 120 jours contre des garanties bancaires à première demande de 90 jours fournies par les marqueteurs.
Quelles sont vos projections pour l’année 2023 (des produits pétroliers) ?
Pour 2023, nous sommes en train de voir comment stabiliser et améliorer le mécanisme de financement des importations de produits pétroliers. Il faut rappeler que pour éviter les pénuries du carburant l’Etat était obligé de venir en appui. Maintenant, notre objectif est que l’Etat sorte progressivement du schéma de financement. Nous sommes en train de trouver la bonne formule pour continuer ces financements de façon sécurisée pour toutes les parties. Préalablement, les banques finançaient directement les marqueteurs pour leurs importations de produits pétroliers sans difficulté. Le seul changement est qu’il y a une seule structure (SONAP) qui s’occupe des importations. Il est donc de notre responsabilité que chacune des parties y trouve son compte de façon sécuriser.
La BCRG a mené avec Afreximbank des expérimentations sur une monnaie numérique (interbancaire), comment le secteur financier se prépare à accueillir cette nouvelle monnaie ?
La réflexion est engagée et les échanges continuent avec la BCRG puisque les banques seront parties prenantes de ce projet. La monnaie électronique commence à être ancrée dans nos mœurs, cela pourrait faciliter l’inclusion financière. Elle a été expérimentée dans d’autres pays en Afrique tel que le Nigéria qui a lancé sa monnaie électronique E-Naira. Toutefois, la mise en service de cette monnaie en Guinée ne sera pas dans l’immédiat puisque ça demande tout un dispositif.
Certaines compagnies minières souscrivent leurs assurances à l’étranger ce qui constitue un manque à gagner pour les compagnies d’assurances guinéennes, qu’est-ce qu’il faudrait pour la mise en application de l’obligation de l’assurance des risques miniers en Guinée ?
C’est quelque chose qui est appliqué dans la plupart des pays et il n’y a pas de raison que ça ne puisse pas se faire en Guinée. La BCRG est en train de réformer en profondeur le secteur des assurances pour qu’il soit plus résiliant et qu’il puisse répondre aux attentes de ces types de garanties. Il convient de noter que beaucoup de sociétés d’assurances ont déjà des traités de réassurance qui leur permettent de couvrir tous les risques d’importation et d’exportation. On a eu des échanges avec les sociétés d’assurances sur ce sujet et la BCRG, c’est une problématique majeure, mais avec une volonté politique on peut arriver à ce que tous les risques soient couverts par nos sociétés d’assurances. Cela va renforcer le secteur des assurances en Guinée et apporter plus de taxes et impôts à l’Etat. Ce qu’il faut savoir si un client souscrit à un risque qui atteint un certain plafond auprès d’une compagnie, la société d’assurance à l’obligation de se réassurer. Ils ont des traités d’assurance avec des institutions internationales qui y trouvent aussi leurs comptes.
Lors de votre discours durant les vœux au gouverneur de la BCRG, vous avez exprimé votre préoccupation sur les dossiers judiciaires du secteur financier, pourriez-vous apporter plus de précisions ?
C’est vrai que cette question est une préoccupation majeure pour notre secteur. Nous traversons une période assez difficile qui ne favorise pas le climat des affaires. Comme vous le savez l’activité principale d’une banque c’est de faire des crédits. De ce fait, elle vit de crédits, mais peut également mourir de mauvais crédits. Le constat est que nous octroyons des facilités à nos clients contre des garanties et certains clients n’arrivent pas à honorer leurs engagements à l’échéance. Dans ces cas, les banques engagent des négociations à l’amiable et lorsqu’elles sont infructueuses, elles se tournent vers les juridictions. Nous mettons en œuvre les conventions que nous avons signées avec les clients notamment les clauses relatives au recouvrement. Si une banque va vers les juridictions, c’est qu’elle a épuisé toutes les procédures à l’amiable possibles. La réalité est que les banques ne gagnent presque jamais leurs procès et cela nous préoccupe beaucoup. Je vais citer pour exemple le cas d’Ecobank avec son client Hamana, un dossier qui dure depuis plus d’une dizaine d’années dont 5 rapports d’experts attestent que c’est le client qui doit à la banque. La banque a été condamnée à payer plus de trois fois sa créance qui est déjà impayée. On a aussi le cas d’Afriland et récemment celui d’Orabank et d’autres pour des créances qui se chiffrent à plusieurs dizaines de milliards. Non seulement les banques ne récupèrent pas leur argent, mais elles se voient condamnées injustement à payer le même montant voire plus. Cela nous démotive et ne nous encourage pas à faire des crédits à la clientèle. De plus, il y a un nouveau phénomène qui nous inquiète encore plus. Nous remarquons que les dirigeants de banques sont assignés en justice au pénal pour des actes normaux de gestion. C’est le cas d’Afriland sur le dossier SACCA, ce client qui a d’ailleurs fait le même coup à la Société Générale il y a 5 ans avec le même mode opératoire. Nous avons aussi l’ancien DG de la Banque Islamique qui a été attrait au pénal par un ex-collaborateur pour un acte qu’il a pris en tant que Directeur général. C’est un litige qui aurait dû être circonscrit entre l’ex-employé et la banque. Ces situations préoccupent énormément, car elles entachent l’honneur de nos collègues qui sont régulièrement convoqués et parfois cités dans la presse. Imaginez-vous, si à chaque fois qu’un client porte plainte contre un Directeur général pour des actes qui concernent la banque, nous devons répondre devant les juridictions ! Nous risquons d’y passer une bonne partie de notre temps, car nous avons des centaines de milliers de clients. Nous tenons à remercier les autorités notamment le Gouverneur de la BCRG et le Premier ministre pour leur disponibilité et nous espérons une meilleure compréhension afin que les banques puissent être rétablies dans leur droit. Nous réaffirmons que nous sommes des justiciables comme tout le monde et nous demandons juste une meilleure compréhension afin de pouvoir accroitre sereinement le financement de l’économie.
Selon vous y a-t-il des défaillances de la justice ? Comment peut-on remédier à cela ?
Je dirais qu’il y a des incompréhensions entre le système judiciaire et notre métier. Nous prévoyons d’ailleurs de faire des journées Banque/Justice pour échanger afin de mieux se connaitre et aplanir ces incompréhensions. Nous saluons les performances du système judiciaire puisqu’il y a eu une très forte amélioration depuis la mise en place du Tribunal de Commerce de Conakry dont je suis juge consulaire. C’est une juridiction où siègent à chaque audience un juge professionnel et deux juges consulaires et les décisions sont collégiales. On note un taux de traitement des dossiers de plus de 90 % pour lesquels seuls environ 20 % des décisions font l’objet d’appel. Les délais de traitement des dossiers dépassent très rarement (3) mois qui est la norme. Au vu de la qualité des décisions, elles sont généralement confirmées par la Cour d’Appel. Pour une amélioration, nous recommandons fortement l’opérationnalisation de la Cour d’Appel de Commerce.
Vous assistez en ce moment à des réunions à la direction des impôts, quelles sont vos attentes vis-à-vis de la fiscalité du secteur financier ?
Le secteur financier ressent une certaine injustice fiscale. En termes d’imposition du bénéfice, nous sommes à 35 %, alors que l’essentiel des secteurs est à 25 % et des secteurs plus porteurs que le nôtre comme le secteur minier sont à 30 %. Le nouveau Code général des impôts de 2022 a également rehaussé les retenues à la source sur les dividendes à 15 %. De ce fait, 50 % de notre bénéfice annuel est totalement reversé aux impôts. Il y a aussi la nouvelle taxation des opérations digitales qui varient entre 1 et 3 % alors que ces opérations sont déjà taxées à la TVA de 18 %. Je citerais aussi le cas des frais d’inscriptions hypothécaires qui étaient déjà à 1 % plus élevés que ceux de la sous-région, qui sont passés à 1,5 %. On oublie souvent que c’est le client qui paie la banque et ça constitue un frein aux efforts d’inclusion financière. Nous avons fait une étude comparative par rapport à quatre autres pays qui montre que le secteur financier guinéen est relativement plus taxé. Bien entendu, notre volonté c’est de continuer à accompagner l’Etat notamment en finançant les projets prioritaires, mais nous appelons également à une meilleure compréhension des autorités.
D’après le FMI un tiers de l’économie s’apprête à entrer en récession en 2023, selon vous quelles seront les conséquences pour la Guinée (secteur financier et particulier) ?
Il y aura certainement un impact sur l’économie guinéenne puisque nous importons plus de 80 % de ce que nous consommons. Il convient toutefois de noter une certaine résilience de l’économie guinéenne. Lors de la pandémie, nous avons eu des annonces catastrophistes, mais si on regarde l’évolution de l’inflation en 2022, la Guinée a relativement mieux résisté par rapport à la sous-région. Certains pays de la sous-région ont eu des hausses d’inflation de plus de 4 % tandis qu’elle est presque restée pour la Guinée. Aussi la nouvelle méthode d’évaluation de l’inflation qui inclut les consommations des régions de l’intérieur prévoit un taux à un chiffre. Au vu de la dynamique qui s’est enclenchée au dernier trimestre de 2022, les perspectives de 2023 nous semblent bonnes pour la Guinée. On aura une croissance positive qui sera tirée par le secteur minier dopé par une forte demande de la Chine du fait des restrictions d’exportation de minerais de l’Indonésie et de la Malaisie.
Pour conclure, quels sont les défis de l’APB pour cette nouvelle année ?
L’APB compte rester l’acteur majeur pour le développement de notre pays. Continuer à financer et accompagner l’Etat notamment à travers le nouvel instrument des Obligations du Trésor. Nous sommes aussi en train de voir avec les autorités de la BCRG comment opérationnaliser certains projets importants pour le développement du secteur financier et l’inclusion financière notamment le switch national digital, la centrale des risques, le bureau d’information de crédit, etc. Nous restons confiants que 2023 sera meilleure que 2022. Toutefois, les défis sont énormes pour notre pays et les besoins de financement le sont également. Nous avons un réseau routier à reconstruire, des établissements de santé et des écoles à refaire, mais aussi nous devons relever les défis d’industrialisation pour profiter des avantages de la ZLECAF. Nous rassurons les autorités, en premier le Président de la Transition, le Colonel Mamadi Doumbouya et le Premier ministre de l’engagement du secteur bancaire à jouer pleinement son rôle dans le cadre du Plan de Relance économique de notre pays en finançant les projets prioritaires de l’Etat de façon sécurisée. Nous sommes à leur disposition pour voir ensemble les meilleures voies pour financer ces projets.