Après l’entrevue du CNT sur le projet Simandou le 3 février 2024, la rédaction d’EcoFinance Guinée a contacté Mohamed Lamine Sidibé, spécialiste des enjeux stratégiques et géopolitiques des matériaux critiques, pour lui demander son avis par rapport aux ajustements de la convention du projet sur le gisement de fer.
Par Aïssatou Camara
Que pensez-vous globalement des ajustements de la convention et les accords relatifs au Projet Simandou adopté par le CNT le 3 février 2024 ?
Tout d’abord, le fait que les détails du projet Simandou soient discutés à l’Assemblée nationale est une avancée majeure dans le processus démocratique de notre pays. Cette discussion montre que les accords ne sont plus liés entre l’exécutif et les investisseurs étrangers, mais que tout le peuple de Guinée est impliqué. Maintenant, pour entrer dans le détail des travaux du CNT, je dirai que les points listés pour l’examen de la convention sont essentiels, notamment le respect de la bonne indemnisation des populations locales et la prise en compte de la dimension RSE et du contenu local. Toutefois, en ce qui concerne la partie relative au plan d’étude environnemental et social, il aurait été opportun de fournir des informations sur le budget de mise en œuvre du plan de gestion environnementale et sociale (PGES). Je rappelle que les infrastructures du projet Simandou traversent l’une des plus grandes populations de chimpanzés d’Afrique de l’Ouest. En 2020, l’opérateur en charge de la construction de cette infrastructure et les autorités administratives de l’époque n’ont pas été en mesure d’apporter la preuve que les effets des tirs de mines avaient été évités dans la zone qui traverse l’habitat de ces espèces. La fragilité de l’écosystème a entraîné un déclin de ces espèces allant jusqu’à 80 % entre 1994 et 2016.
Comment expliquez-vous la fluctuation du montant consacré au projet Simandou ?
L’ancien ministre des Mines et de la Géologie a lui-même reconnu le problème de la fluctuation du montant de l’investissement, passant de 20 milliards de dollars à 15,5 milliards de dollars. Cela ne facilite pas la compréhension du coût exact investi dans chaque composante du projet, et les autorités n’ont pas demandé de factures pour pouvoir faire une estimation personnalisée du montant total investi. À mon avis, cela remet en question la qualité de l’infrastructure qui sera construite.
Que pensez-vous du projet de construction de l’aciérie de 500 000 tonnes à l’horizon de 2036 ? Est-ce que cela sera profitable à la Guinée ? Le délai de construction est-il tenable ?
L’annonce de la construction d’une aciérie de 500 000 tonnes est une excellente nouvelle. Mais 2036, c’est loin. Les autorités et les spécialistes du secteur devraient prendre en compte la politique climatique de la Chine, appliquée rigoureusement par l’industrie sidérurgique depuis 2015. Le secteur de l’acier est actuellement responsable de 15 % des émissions de gaz à effet de serre de la Chine. Pour les réduire, Pékin mise sur l’utilisation de la ferraille au détriment du minerai de fer brut, qui représente actuellement 80 % de la production d’acier en Chine, et qui dépend fortement du charbon. La ferraille est facile à recycler et consomme moins d’énergie. Elle constitue donc l’alternative chinoise pour décarboner l’industrie sidérurgique. Ce remplacement majeur est prévu entre 2030 et 2060, année où la Chine espère atteindre la neutralité carbone. D’une manière générale, 2036 serait une option moins importante pour la Guinée, dans la mesure où les importations de fer brut de la Chine devraient diminuer au fur et à mesure de la maturation et de la modernisation de l’économie chinoise.
Le projet Simandou est réalisé par la coalition de deux entreprises de culture de travail différente et l’État guinéen, est-ce cela pourrait-être un obstacle pour la pérennité du projet ?
Le plus grand défi auquel est confronté le projet Simandou est la combinaison de deux entreprises d’origine et de culture différentes. Rio Tinto, une major anglo-saxonne, et le groupe Winning, associés au géant mondial de l’acier BAOWU et à cinq autres entreprises chinoises, ont financé des projets d’infrastructure à hauteur de milliards de dollars pour extraire le plus grand gisement de minerai de fer inexploité au monde. Derrière cela, il y a le leadership du président de la transition, Mamadi Doumbouya, qui a réussi à créer un arrangement complexe entre ces deux compagnies au profit de la Guinée. Cependant, dans d’autres régions, notamment en Afrique australe, on assiste à une inflation des axes ferroviaires, d’une part occidentale, comme le corridor de Lobito. Ce corridor, entièrement financé par le gouvernement américain et d’autres entités occidentales, permettra aux minerais critiques produits en République démocratique du Congo d’être transportés vers la Zambie avant d’atteindre le port de Lobito en Angola par voie ferroviaire. Des entités chinoises ont récemment planifié la revitalisation du chemin de fer de Tazara, situé en Zambie, pour atteindre l’océan Indien via la Tanzanie. La Guinée est donc un modèle de coopération africaine-chinoise-occidentale réussie sur le continent, même si les normes et les cultures de fonctionnement de ces deux entités sont totalement différentes. Quant à la pérennité de ce partenariat, elle dépendra des accords juridiques conclus entre les différentes parties prenantes. Sur ce point, il ne devrait donc pas y avoir de problèmes majeurs.
Pour finir, les ajustements de la convention portent également sur l’exigence que les travaux de transbordement soient réalisés par des sous-traitants guinéens, selon vous quelle mesure de contrôle le gouvernement devrait mettre en place pour que ce soit respecter ?
À mon avis, l’expression du contenu local dans sa globalité dépend de la capacité des entreprises locales à saisir les opportunités offertes par un tel projet. La plupart des entreprises guinéennes manquent encore d’expertise dans ce type de projet. Le gouvernement devrait plutôt se concentrer sur la formation d’une main-d’œuvre locale capable de fournir aux compagnies minières un service de qualité. La CBG a mentionné dans son rapport ASI (Aluminium Stewarship Initiative) que 60 % de ses approvisionnements en intrants proviennent de l’étranger. Les décideurs devraient envisager une politique visant à réduire ce chiffre. De plus, face à un tel projet, qui représente 20 milliards de dollars d’investissement, il serait important d’anticiper pour voir comment les entreprises nationales peuvent bénéficier de la valeur ajoutée, et de mettre en place des mécanismes robustes pour que les entreprises locales puissent capter une plus grande partie de ces 20 milliards de dollars. En bref, nous devons former davantage de jeunes entrepreneurs.